Black Blocs: bas les masques
Par Francis Dupuis-Déri
http://www.mouvements.info/Black-Blocs-bas-les-masques.html
Quand manifester c’est enfiler un vêtement
noir et une cagoule : comment les militants du "Bloc noir" envisagent la
violence, l’action politique et les rassemblements altermondialistes.
Le [1]
30 novembre 1999, lors de la « Bataille de Seattle », les « Black
Blocs » font une entrée fracassante dans le mouvement
« antimondialisation » en lançant des frappes contre des succursales de
banques et des magasins Gap, Levi’s, McDonald’s. Ce recours à la force
si spectaculaire a permis au mouvement d’obtenir une très grande
visibilité médiatique. Pourtant, nombre de manifestants pacifistes et de
porte-parole des groupes réformistes accusent les Black Blocs et leurs
alliés de nuire à l’image publique du mouvement « antimondialisation ».
Cette critique se double très souvent d’une analyse saturée de clichés :
le phénomène Black Bloc serait l’expression d’un « anarchisme » réduit à
une pulsion irrationnelle qui pousse des « jeunes casseurs » à la
violence et au chaos. Justifiée à première vue pour ceux et celles que
la violence met mal-à-l’aise, cette charge critique contre les Black
Blocs brouille la pensée et a elle-même des répercussions politiques
négatives pour l’ensemble du mouvement. Ce texte a pour objet d’analyser
cette politique de la critique après avoir déboulonné quelques
mensonges qui circulent au sujet des Black Blocs.
Rappel historique
Les Black Blocs sont apparus à Berlin Ouest pendant
l’hiver de 1980 alors que les policiers vidaient brutalement des squats
de militants du mouvement autonome. Décidés à défendre leur logement,
ces militants formeront les premiers Black Blocs – expression lancée par
la police allemande – qui affronteront les policiers dans de violents
combats de rue [2]
. Le Black Bloc est un type d’action collective, une tactique. Ceux et
celles qui veulent former un Black Bloc se présentent lors d’une
manifestation vêtus et masqués de noir : se reconnaissant aisément, ils
peuvent alors constituer un contingent. La première fonction d’un Black
Bloc est d’exprimer une présence anarchiste et une critique radicale au
cœur d’une manifestation. Il offre aussi la possibilité à des militants
de mener des actions directes car cette masse dans laquelle ils se
fondent leur assure une solidarité politique et protège leur anonymat,
ce qui rend d’autant plus difficile pour les policiers de cibler et
d’arrêter un individu en particulier.
Cette tactique deviendra rapidement populaire et les
militants autonomes y auront recours lors de grandes manifestations. Un
Black Bloc entrera par exemple en action à Berlin en 1988 à l’occasion –
déjà – d’une réunion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international. Ce type d’action se diffusera à travers le réseau
anarcho-punk de la contre-culture radicale d’Europe centrale jusqu’au
Canada et aux États-Unis, où un premier Black Bloc se forme dès 1991
lors d’une manifestation dénonçant la guerre contre l’Irak. Dans les
années quatre-vingt-dix, les militants du mouvement nord-américain
Anti-Racist Action (ARA) qui privilégient la confrontation directe
contre les néo-nazis et les suprémacistes « Blancs » reprendront
également cette tactique [3] qui sera enfin adoptée par des militants actifs au sein du mouvement « antimondialisation ».
Black Blocs et anarchisme
Les anarchistes en général et les Black Blocs en
particulier ne sont pas les instigateurs du mouvement
« antimondialisation », mais ils participent à la dynamique de ce
mouvement et plusieurs y voient un lieu privilégié où exprimer leur
critique du capitalisme et de l’État libéral. Journalistes, porte-parole
des groupes réformistes et militants non-violents dérangés par la
présence et les actions des Black Blocs concluent trop souvent que les
Black Blocs sont anarchistes parce qu’ils ont recours à la force. Il
s’agit là d’un amalgame fallacieux qui laisse dans l’ombre trois faits
importants : toutes les idéologies politiques et mêmes religieuses ont
su justifier la violence de leurs partisans lorsque cela leur
convenait ; l’anarchisme compte beaucoup de partisans non-violents [4] et certains Black Blocs ont participé à des manifestations sans avoir recours à la force [5]
. Si les Black Blocs sont de sensibilité anarchiste, ce n’est pas en
raison de leur potentiel violent mais bien plutôt parce qu’ils
fonctionnent de façon égalitaire et libertaire ; en d’autres mots, leur
structure et leur processus de prise de décision sont non autoritaires
et non hiérarchiques.
Quiconque vêtu de noir peut en principe se présenter à
une manifestation et se joindre au contingent noir. Mais un Black Bloc
est d’abord un regroupement de plusieurs « groupes d’affinité », une
expression très répandue au sein du mouvement « antimondialisation » et
qui provient de la tradition anarchiste (de tels groupes – grupos de
afinidad – existaient dès la fin du xixe siècle dans la mouvance
anarchiste espagnole [6]
). Un groupe d’affinité est généralement composé d’une demi-douzaine à
quelques dizaines de membres. L’affinité entre les membres s’explique
par les liens qui les unissent – ce sont des amis, des camarades
d’étude, de travail ou de groupes politiques – et ils ont en partage une
sensibilité à l’égard du type d’actions qu’ils entendent mener, de la
façon de les mener ainsi que des modalités d’interaction sociopolitique
qu’ils désirent établir et maintenir entre eux. Les réunions au sein des
groupes d’affinité fonctionnent sur le mode de la démocratie directe,
mais la recherche du consensus y est privilégiée et le recours au vote
plutôt rare.
Il est difficile d’évaluer avec exactitude le profil
sociologique des participants aux Black Blocs. Il semble qu’ils soient
plutôt jeunes (autour de la vingtaine, avec des écarts jusqu’à quinze et
cinquante-cinq ans) et souvent étudiants, mais tout en ayant une
expérience militante (par exemple dans des journaux radicaux et des
groupes de lutte contre le racisme, contre la brutalité policière ou
pour les sans-emploi). De nombreuses femmes participent à l’organisation
des Black Blocs (environ 40 % dans le cas du Sommet de Québec) et
joignent l’action (environ 25 %). Lors des réunions, la parole est
souvent distribuée en alternance aux hommes et aux femmes, une procédure
qui permet de contrer partiellement la réalité sociopsychologique selon
laquelle les hommes s’expriment et s’affirment généralement avec plus
de facilité en public, ce qui leur confère de facto plus de pouvoir dans
un processus délibératif [7] .
Un Black Bloc, tout comme les groupes d’affinité qui le
composent, n’a pas de « chef » qui distribuerait les rôles à chacun et
imposerait les objectifs collectifs. C’est au cours d’un processus
délibératif que les membres discutent des risques qu’ils entendent
prendre et qu’ils décident du type d’actions qu’ils désirent mener.
Certains groupes opteront pour des actions offensives (ils auront alors
des bâtons, frondes, boules de billard, cocktails Molotov, etc.) ou
défensives (boucliers, plastrons, gants, jambières, casques, masques à
gaz, etc.), d’autres se spécialiseront dans des actions de soutien : ils
effectueront des opérations de reconnaissance et de communication
(vélos, walkie-talkies ou téléphones portables) ; constitueront un corps
d’infirmiers volontaires (doté de l’équipement nécessaire pour soulager
les victimes des gaz lacrymogènes et du poivre de Cayenne et
administrer les premiers soins aux blessés) ; ou se donneront comme
tâche d’entretenir le moral des troupes en jouant de la musique.
Lors d’événements très importants, plusieurs groupes
d’affinité peuvent organiser entre eux des réunions de coordination. Le
processus de coordination des Black Blocs de la région de Montréal
débuta ainsi dès 2000 en prévision du Sommet des Amériques à Québec en
avril 2001. Il est toujours possible, toutefois, que des individus ou
des groupes d’affinité n’ayant pas participé à cet effort de
coordination se joignent au Black Bloc la veille ou le jour même des
manifestations ou y forment leurs propres Black Blocs.
Violence et politique
Les Black Blocs n’ont pas toujours recours à la force :
ils sont pour le respect de la diversité des tactiques et jugent
approprié que, selon les sensibilités et les logiques de chacun,
certains manifestent pacifiquement et d’autres s’expriment par la force
(des membres de Black Blocs refusent même d’avoir personnellement
recours à la force et se regroupent, par exemple, au sein des groupes
d’affinité d’infirmiers volontaires [8]
). Ils ne sont pas les seuls à avoir parfois recours à la force. Les
manifestations « antimondialisation » comptent ainsi un très grand
nombre de groupes d’affinité et d’individus sans aucune affiliation qui
ont recours à la force mais ne sont pas vêtus de noir et ne sont donc
pas, techniquement parlant, des Black Blocs. Des Blocs Rouges composés
de militants marxistes-léninistes peuvent eux aussi lancer des actions
directes violentes. Les Black Blocs ont toutefois ceci de particulier
que plusieurs de leurs membres produisent et diffusent – surtout par
Internet – un discours justifiant leur recours à la force. Pour nombre
de participants aux Black Blocs, la décision d’avoir recours à la force
s’inscrit dans une réflexion politique qui s’inspire d’expériences
passées [9]
. Un participant à plusieurs Black Blocs précise ainsi qu’on retrouve
dans les Black Blocs des militants « de longue date [qui] sont en
quelque sorte désillusionnés car ils sont arrivés à la conclusion que
les moyens pacifistes sont trop limités et qu’ils font le jeu du
pouvoir. Ils décident alors d’utiliser la violence pour ne plus être
victime [10] ».
Les justifications peuvent être multiples et relèvent à
la fois de la sociopsychologie, de l’économie et de la politique. D’un
point de vue économique et politique, l’action directe violente est
perçue comme un moyen efficace et simple de critiquer le capitalisme et
l’État libéral illégitimes car fonctionnant sur des modes autoritaires
et hiérarchiques et eux mêmes violents. La critique s’exprime
directement puisque le système économique et politique illégitime
s’incarne dans la cible des frappes (des McDonald’s, des banques, le
siège du Fonds monétaire international ou le périmètre de sécurité qui
protège le Sommet du G8). La critique s’exprime aussi de façon
indirecte, puisque l’action est couverte et discutée dans les médias, ce
qui permet de diffuser dans le champ politique une critique radicale du
capitalisme et de l’État libéral.
L’affrontement avec les policiers se justifie parce que
ceux-ci protègent des institutions illégitimes et incarnent la violence
de l’État, mais aussi parce que le rapport de force que permet de créer
une manifestation en général et un Black Bloc en particulier offre
l’opportunité d’une vengeance qui fonctionne comme un exutoire : « Je
viens de la banlieue et les flics font ce qu’ils veulent toute l’année
et ça passe sous silence », expliquera un jeune adulte d’un quartier
défavorisé de Montréal ayant participé aux affrontements contre les
policiers en marge du Sommet des Amériques à Québec (avril 2001). Il
précise que « frapper un flic, ce n’est pas de la violence, c’est de la
vengeance [11] ».
Cette confession très dure révèle un monde d’injustice et un besoin de
réparation de la part des victimes habituelles de la brutalité
policière. On entre ici dans le domaine des justifications à caractère
sociopsychologique : le tumulte de l’action directe provoque une sorte
de jouissance. Psychologique, cette jouissance est aussi politique :
« je crois que c’est une manifestation de frustration », dira un autre
participant à plusieurs Black Blocs au sujet de la violence, avant
d’ajouter que c’est « un défoulement de la part de gens qui ont compris
qu’ils ont des intérêts contradictoires de ceux des institutions qu’ils
attaquent [12] ».
Des membres d’un des groupes d’affinité du Black Bloc de Gênes pBB1 :
voir note infra n° 10.récisent quant à eux que c’est parce que « nous
vivons dans un monde monotone et effrayant […] que le détruire se doit
d’être jouissif [13] ».
Cette violence, festive pour autant qu’elle soit politique, s’insère
dans un imaginaire en phase avec des films comme La Haine et Ma 6-T va
crackquer et des chansons de Bérurier Noir, groupe anarcho-punk français
des années quatre-vingt particulièrement prisé par les participants des
Black Blocs.
Les Black Blocs attirent bien sûr des lots d’individus
qui ne pensent leur engagement politique qu’en termes de violence, de
manifestations et d’organisation de manifestations. D’autres considèrent
toutefois qu’il ne faut pas croire que « la manif est un truc politique
suprême, ni que la casse signifie nécessairement être radical [14] »,
se désolant même qu’il y une vision « dogmatique qui considère que la
violence est la seule et unique moyen de mener la lutte [15] ». Pour ceux-là, la manifestation et l’émeute rituelle ne sont pas un prélude au grand soir [16]
, mais plutôt des micro-révolutions qui permettent de libérer l’espace
(la rue) et le temps (quelques heures) nécessaires pour vivre une
expérience politique forte en dehors des normes établies par l’État et
le capitalisme. « Je rêve d’un monde sans violence », dira un
participant à plusieurs Black Blocs, « mais le monde dans lequel je vis
actuellement est violent et […] je considère donc qu’il est légitime
pour moi d’utiliser la force pour ne pas laisser le monopole de la
violence à l’État [17] ».
L’action directe doit permettre de sortir d’un rôle de victime passive,
changer la façon de penser le rapport à la ville, à la propriété et à
la politique, mais l’engagement ne doit pas se limiter à la
participation ponctuelle à des manifestations et c’est pour cela que
plusieurs participants aux Black Blocs poursuivent un travail militant
au quotidien.
Politique de la critique : Black Blocs et mouvement « antimondialisation »
Ce portrait trop rapide des Black Blocs aura permis de
faire comprendre la nature partiale et partielle des attaques verbales
menées contre les Black Blocs et leurs alliés aussi bien par les
politiciens officiels et les journalistes que par plusieurs porte-parole
de la frange réformiste du mouvement « antimondialisation ». Ces
critiques laissent entendre que les Black Blocs sont tout sauf des lieux
où s’incarnent la démocratie directe, la liberté et l’égalité et que
ceux et celles qui ont recours à la force sont souvent riches d’une
expérience militante qui les a conduit à penser l’action directe
violente comme légitime dans le contexte présent. Il est bien sûr
possible d’être en désaccord avec les Black Blocs et leurs alliés, mais
affirmer publiquement qu’« [i]ls n’expriment pas une opinion » (comme le
dira en marge du sommet du G8 à Gênes le Premier ministre belge et
président de l’Union européenne [18]]
) relève au mieux de l’ignorance, au pire du mensonge. Les Black Blocs
sont aussi dépeints comme des « barbares » et des « casseurs
nihilistes » (Bernard-Henry Lévy [19] ) ou même comme des alliés objectifs des terroristes islamistes (Alain-Gérard Slama, dans le Figaro-Magazine [20]
). Les grands médias et les agences de presses se font le relais de
cette campagne de dénigrement et se permettent même de condamner
explicitement ces « casseurs qui discréditent régulièrement les
manifestations contre la mondialisation [21] » et qui constituent un « véritable cancer du mouvement [22] »,
comme l’écrit un journaliste de l’Agence France Presse. Enfin, Susan
George d’Attac et de Greenpeace-France, concède que les Black Blocs et
leurs alliés ont permis au mouvement d’obtenir une plus grande
visibilité médiatique mais se désole qu’« à la dernière minute, arrivent
des gens qui n’ont pas participé à la préparation [des manifestations]
et se mettent à faire n’importe quoi. Cette attitude [est] profondément
antidémocratique [23] ».
Ces critiques des porte-parole réformistes à l’endroit des Black Blocs
et de leurs alliés ont deux conséquences déplorables pour le mouvement :
elles encouragent la répression policière ; elles tendent à atténuer
l’ampleur du mouvement, puisque les « casseurs » sont présentés comme
des électrons fous sans conviction politique.
1. La répression : l’unanimité entre les porte-parole
réformistes, les intellectuels de droite, les médias et les politiciens
officiels facilite le resserrement de l’étau légal et répressif sur les
Black Blocs et leurs alliés. Que les policiers et les divers services
secrets répliquent par la répression et la violence à la force des Black
Blocs et de leurs alliés est dans l’ordre des choses, mais la violence
policière est sans commune mesure avec celle des manifestants et il
n’est pas exagéré de parler d’« émeute policière [24] »
dans plusieurs cas de manifestations contre la mondialisation du
capitalisme. Enfin, le « Groupe Terrorisme » du Conseil de l’Union
européenne a décidé le 13 février 2001 que les « actes de violence et de
vandalisme criminel commis par des groupes extrémistes radicaux » lors
des manifestations contre la mondialisation du capitalisme devraient
être considérés « comme infractions à l’article premier de la
décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme [25] ».
L’ampleur des attaques légales et physiques contre les Black Blocs et
leurs alliés s’explique par les théories sociologiques qui indiquent que
les policiers seront d’autant plus violents qu’ils savent que les
citoyens auxquels ils font face sont marginalisés et n’ont pas d’alliés
de poids, que ces manifestants aient recours à la force ou non [26]
. Bref, les critiques des porte-parole réformistes s’inscrivent dans un
discours qui favorise la répression policière et encourage l’« opinion
publique » à exiger de la police une approche brutale et répressive à
l’égard des « jeunes casseurs anarchistes ». Les porte-parole
réformistes condamnent bien sûr la violence policière mais aussi et
toujours celle des Black Blocs et autres « anarchistes », indiquant aux
policiers que ces « extrémistes » sont isolés et que tout le monde se
réjouira s’ils sont enfin neutralisés.
2. Minimiser le mouvement : à première vue, les
porte-parole des réformistes se dissocient pour des raisons morales des
« casseurs » qu’ils pourraient pourtant considérer comme leurs alliés
politiques. Susan George elle-même propose toutefois de penser la
violence politique « en dehors de toute question morale [27] ».
L’attitude politique des dirigeants de groupes réformistes à l’égard
des militants ayant recours à la force est influencée par la structure
politique dans laquelle ces dirigeants ont choisi de s’engager : ils
cherchent à adapter leurs pratiques et les discours en fonction de
canaux de communication, de réseaux d’influence et de modalités
financement dont les normes d’inclusion et d’exclusion sont définies par
l’État [28]
. Pour préserver leur respectabilité aux yeux de l’État, les
porte-parole réformistes savent qu’ils doivent se distancer publiquement
des Black Blocs et de leurs alliés. Les politiciens officiels expriment
d’ailleurs très clairement cette exigence : « Je veux entendre les
responsables de tous les mouvements et partis démocratiques, partout
dans le monde, prendre leurs distances avec les casseurs [29] »,
déclara ainsi suite au Sommet du G8 à Gênes (juillet 2001) le premier
ministre belge et président de l’Union européenne. L’élite de certains
groupes politiques sait aussi qu’elle ne peut respecter l’autonomie de
chaque participant et la diversité des tactiques à ses défilés et elle
impose donc une discipline stricte grâce à un service d’ordre musclé [30]
. L’État sait une fois de plus distribuer les félicitations. Lors du
Sommet des Amériques à Québec (avril 2001), le Premier ministre du
Canada distingua les manifestants qui avaient eu recours à la force de
ceux et celles qui avaient défilé pacifiquement loin du périmètre de
sécurité dans la Marche des peuples et il n’hésita pas à « remercier la
FTQ [syndicat de la Fédération des travailleurs du Québec], qui avait
ses propres gardes de sécurité » encadrant cette marche [31]
. Les porte-parole de la Marche des peuples ne s’étaient pas contentés
d’imposer un service d’ordre, ils critiquèrent aussi les milliers de
manifestants qui très loin de leur défilé avaient décidé de s’en prendre
au périmètre de sécurité, la porte-parole Françoise David disant ainsi
« non à cette violence » orchestrée selon elle par « un très petit
groupe » d’individus [32] .
Les porte-parole réformistes font le calcul politique
qu’il est plus avantageux pour eux de répéter ce que l’État veut qu’ils
disent plutôt que de se déclarer solidaires de ceux et celles qui, dans
la rue, se croyaient leurs alliés de lutte [33]
. Les dirigeants réformistes ont pourtant d’autres options : ils
pourraient se déclarer non-violents mais rappeler que les Black Blocs et
leurs alliés font eux aussi partis du mouvement et que leurs actions
ont un sens politique. Ils pourraient même « utiliser » les Black Blocs
pour faire pression sur les représentants de l’État, en déclarant :
« regardez, il y a dans la rue des gens très en colère et vous avez donc
intérêt à négocier rapidement avec nous pour calmer le jeu ». Ils ont
fait un tout autre choix, au risque de présenter une image tronquée du
mouvement et d’encourager la violence et la répression policière. Alors
que les réformistes s’inquiètent publiquement que les Black Blocs soient
manipulés par la police, il semble que les réformistes se laissent eux
aussi manipuler. Entre les actions des Black Blocs et les paroles des
dirigeants réformistes, il n’est pas évident que ce soient les premières
qui nuisent le plus au mouvement.
Publié par Mouvements, le 7 juin 2007. http://www.mouvements.info/Black-Blocs-bas-les-masques.html
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