Ivan Jablonka : « En ligne, Laëtitia écrivait "mwa" au lieu de "moi" »

Entretien avec le chercheur et écrivain Ivan Jablonka, auteur du livre « Laëtitia ou la fin des hommes », sur les traces numériques et ce qu'elles nous disent des morts.


Par Claire Richard Journaliste.Publié le04/09/2016 à 07h05

Ivan Jablonka : « En ligne, Laëtitia écrivait "mwa" au lieu de "moi" »

Depuis des années, Ivan Jablonka, chercheur et écrivain, travaille sur les morts et leurs traces, pour raconter leur histoire. Il a écrit sur les enfants placés à l'Assistance publique au XIXe siècle, surses grands-parents juifs assassinés. Son dernier livre, « Laëtitia ou la fin des hommes » retrace la vie de Laëtitia Perrais, une jeune fille victime en 2011 d'un atroce assassinat.
Dans son enquête précise et sensible, il a fait de ses posts Facebook et de ses SMS des archives et des documents poétiques. Nous l'avons rencontré pour discuter de ce qu'ont représenté pour lui ces documents et du genre de vérité qu'ils peuvent nous dire.
Quand vous avez commencé l'enquête sur Laëtitia, aviez-vous pensé à sa page Facebook  ?

Quand j'ai commencé à enquêter sur la vie de Laëtitia, je me suis demandé quelles sources étaient mes sources. J'ai identifié des sources écrites, comme le dossier de Laëtitia et de sa sœur jumelle Jessica à l'Aide sociale à l'enfance (ASE).
J'ai fait des entretiens avec les proches de Laetitia, sa sœur, son père, ses oncles, ses collègues, ses amis, ses petits copains, mais aussi avec des professionnels de l'enquête  : les avocats, les gendarmes, le procureur de la République, même le médecin légiste. Car ce sont eux, au cours de l'enquête criminelle, qui ont rendu sa dignité à Laëtitia, en retrouvant son corps pour savoir ce qu'elle avait vécu et lui donner une sépulture. Enfin, je suis allé sur les lieux où Laëtitia a vécu  : Nantes, Paimboeuf, Pornic, Machecoul...
Quand j'ai retracé l'histoire de mes grands-parents, il y a quelques années, j'ai exploité exactement ce type de sources. Mais dans le cas de Laëtitia, j'ai eu accès à un autre type de source  : sa «  culture numérique  » – la télé et surtout, les SMS et Facebook.

Comment y avez-vous eu accès  ?
La tante de Laëtitia m'a fait confiance et m'a très gentiment donné les codes d'accès de la page Facebook de sa nièce. Quant aux SMS, beaucoup ont été lus lors du procès d'appel du meurtrier, auquel j'ai assisté intégralement en octobre 2015. Le dossier du procès a aussi été rendu public et il inclut les retranscriptions des SMS, jusqu'aux fautes d'orthographes.
Ces SMS constituent une des sources les plus intimes auxquelles j'ai jamais eu accès – dans mon enquête sur Laëtitia mais aussi, plus généralement, dans mon travail de chercheur.

D'ailleurs, ce sont les seuls documents que vous reproduisez de façon brute dans le livre...
Ces SMS, c'était la voix de Laëtitia ! C'est ainsi ça qu'elle communiquait avec ses amis, sa famille... Ils nous rapprochent au plus près de ses émotions, de ses joies, mais aussi de ses peurs. Ils sont à la fois intimes, hautement personnels et essentiels pour l'enquête criminelle.
Car Laëtitia envoie ses derniers SMS depuis la voiture, pendant que Tony Meilhon [son meurtrier, ndlr] conduit. Ce sont des SMS de terreur : elle appelle au secours un ami très proche, elle dit qu'elle vient de subir « un truc grave », alors qu'elle est dans une situation de très grand danger physique. Ce n'est pas un hasard si l'enquête s'est très vite concentrée sur ces SMS  : ils marquent l'heure mais aussi sa position géographique, grâce au «  bornage  ».
Dans ces SMS, il y a à la fois le verbe de Laëtitia, sa peur, le compte-rendu minute après minute de son retour vers son scooter, son parcours géographique, la réaction de son copain... Il y a là quelque chose qui vous prend à la gorge.


Fuente: http://www.seuil.com/ouvrage/laetitia-ou-la-fin-des-hommes-ivan-jablonka/9782021291209

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